Enquête. « Venir en ville en voiture, c’est très compliqué » Le commerce dans le centre-ville de La Rochelle est-il en difficulté ?

Alors que la piétonisation et le stationnement dans le centre-ville de La Rochelle continuent de susciter des débats, INF La Rochelle est allé à la rencontre des commerçants et des acteurs locaux pour comprendre les véritables impacts de ces mesures sur leur activité.

Des bornes ont été installées autour du centre-ville de La Rochelle pour limiter la circulation des voitures | TL - INF La Rochelle
Des bornes ont été installées autour du centre-ville de La Rochelle pour limiter la circulation des voitures | TL - INF La Rochelle

Depuis 2014, Jean-François Fountaine et ses adjoints dirigent la ville de La Rochelle avec un objectif phare : le développement des mobilités durables, notamment des pistes cyclables et des transports en commun ainsi que la piétonisation du centre-ville. Ils s’en vantaient encore en septembre dernier, lors de la conférence de presse de rentrée, grâce aux excellents chiffres sur l’évolution de l’utilisation des mobilités, comme la fréquentation du réseau de bus qui a augmenté de 8 % entre janvier et juin derniers, passant de 6,3 à 6,8 millions de passagers, ainsi qu’un million de passagers en plus à la gare de La Rochelle entre 2018 et 2023. Même constat pour la circulation des vélos, qui a explosé ces dernières années, entre les touristes et les locaux alors que le Rochelle veut devenir un territoire Zéro Carbone dans les prochaines années.

Cependant, ces nombreuses concessions, qui ont pour objectif de rendre le centre-ville plus viable et de diminuer les émissions, se font au détriment du moyen de locomotion qui reste le plus utilisé par les Français : la voiture. Sur les réseaux sociaux et dans la rue, de nombreux Rochelais et habitants de l’agglomération partagent leur mécontentement face aux nombreuses difficultés de circulation que connaît la ville. De plus, de nombreuses personnes pointent aujourd’hui des difficultés à stationner dans le centre-ville ainsi que les tarifs excessifs, une situation qui est en réalité bien différente de ce qui est raconté, comme nous le verrons. Cet été avait lieu l’inauguration de la rue Saint-Yon, dernier gros chantier en date de la mairie afin de rendre piétonne cette artère très fréquentée du centre-ville entre l’hôtel de ville et le marché, et qui est la dernière illustration de cette politique de piétonisation et du rejet de la voiture en ville.

INF La Rochelle est allé à la rencontre de plusieurs commerçants du centre-ville ainsi que de divers acteurs de la vie locale afin de mieux comprendre l’impact réel de ces mesures sur leur activité. Dans la deuxième partie de cette enquête, déjà disponible sur notre site, vous pourrez découvrir l’interview de Christophe Bertaud et Olivier Prentout, adjoints au maire en charge du commerce et des mobilités, qui ont accepté de répondre à nos questions sur le sujet.

La Rochelle et la voiture, une séparation compliqué​e

Ce n’est pas un grand secret, La Rochelle cherche depuis plusieurs années à réduire l’utilisation de la voiture en centre-ville. Une idée qui s’est accélérée sous le mandat de Jean-François Fountaine, qui a pris ces dernières années plusieurs décisions afin d’exclure la voiture du cœur de la ville, notamment en rendant impossible sa circulation autour du Vieux-Port ou dans une grande partie du centre. Des mesures qui ont fortement compliqué la vie des automobilistes rochelais, qui passent parfois de longues minutes dans les embouteillages dans divers quartiers de La Rochelle et en périphérie. De plus, depuis 2023, c’est une double peine avec le projet « Cœur de ville apaisée », qui a eu pour conséquence la piétonisation d’une partie du centre-ville et la fermeture à la circulation des voitures, mais aussi la mise en place du stationnement payant dans le centre-ville de La Rochelle avec une zone orange et une zone verte. Les commerçants et les Rochelais craignaient à ce moment-là que les clients ne viennent plus en centre-ville comme l’indiquait Ici La Rochelle dans un article en août 2023.

De plus, avec la mise en place de nouveaux sens interdits aux abords du centre-ville, comme celui du pont Louis-Suire, dont la circulation a été interdite dans un sens excepté pour certains riverains, la circulation automobile est très compliquée si vous ne connaissez pas la ville, et vous pouvez rapidement vous perdre, comme l’expliquent régulièrement sur les réseaux sociaux des touristes et même des habitants des environs de La Rochelle. 

Le pont Louis-Suire à la Rochelle dont la circulation a été interdite dans un sens excepté pour certains riverains | TL - INF la Rochelle
Le pont Louis-Suire à la Rochelle dont la circulation a été interdite dans un sens excepté pour certains riverains | TL - INF la Rochelle

Un bilan en demi-teinte pour les commerçants

En ce début d’année 2025, nous sommes allés à la rencontre d’une douzaine de commerçants du centre-ville, principalement situés rue Saint-Yon et rue du Minage. En réalité, le bilan n’est pas aussi sombre qu’on pourrait le croire, contrairement aux idées reçues.

Dans un premier temps, beaucoup de commerçants font état d’une perte de clients de la communauté d’agglomération qui se déplacent moins souvent, ainsi que de personnes âgées et à mobilité réduite. Les commerçants ont ainsi remarqué que nombre d’entre eux avaient déserté le centre-ville, comme la propriétaire d’une galerie du centre-ville qui a vu une réduction considérable du passage dans la rue après la mise en place des restrictions de circulation. « J’avais une clientèle assez particulière, notamment de retraités qui ne veulent plus venir en ville car ils utilisaient la voiture. Je les ai tous revus, par contre, à un salon à Châtelaillon-Plage, et j’ai même rencontré de nouveaux clients », explique la commerçante, qui accuse une perte importante de son chiffre d’affaires à cause du contexte économique compliqué, mais aussi de la baisse de passage.

Elle reste déterminée et souhaite continuer son activité. « Il faut que les gens reprennent de nouvelles habitudes, et certains le font, mais c’est pour l’instant très long. Par exemple, ils se garent maintenant à Verdun ou prennent le bus. » Même constat pour cet autre commerçant de la rue des Merciers, qui dénonce le manque de préparation et de communication dans le cadre de la piétonisation du centre et des mesures pour le stationnement. Il déplore également le manque d’aide de la mairie pour redynamiser la rue. « Les gens venaient spécifiquement pour certains articles que l’on vendait, mais ils ne vont plus se déplacer pour ça maintenant. C’est pourtant psychologique, car il y a des places partout dans le centre-ville. Peut-être faudrait-il faire un parking de proximité supplémentaire, car Verdun n’est pas suffisant. De plus, je crains que la fermeture du pont Louis-Suire nous impacte encore plus, je suis quasiment obligé de passer par la 4 voies maintenant quand je veux aller dans le centre-ville. »

Le gérant d’une épicerie fine sur la rue Saint-Yon dénonce lui le manque d’aide de la mairie pendant les travaux qui ont durée près de 2 ans. « Pendant les travaux de la rue Saint-Yon, je vivais avec 500 € par mois. J’ai envoyé des mails à la mairie, mais elle a répondu pour moi que tout allait bien. Le chiffre d’affaires n’a quasiment pas augmenté depuis la fin des travaux. Par exemple, à Noël, je n’ai fait que 0,3 % en plus par rapport à l’année dernière. Les bouchons et la fermeture d’axes comme le pont Louis-Suire ne donnent pas envie de venir dans le centre-ville pour les Rochelais. Il y a bien des places, mais il faut payer cher ou se garer loin pour en avoir gratuitement. Je fais aussi plus de livraisons à domicile […] J’ai eu envie de fermer l’année dernière, pourquoi rester dans une ville qui ne m’aime pas ? Les gens vont désormais préférer aller à Beaulieu ou commander en ligne ».

La nouvelle rue Saint-Yon à La Rochelle, désormais piétonnisée et 'plus belle' que l'ancienne selon les Rochelais rencontrés | TL - INF La Rochelle
La nouvelle rue Saint-Yon à La Rochelle, désormais piétonisée et 'plus belle' que l'ancienne selon les Rochelais rencontrés | TL - INF La Rochelle

Les commerçants interrogés expliquent bien qu’il n’est pas si compliqué de stationner dans le centre-ville. « Personnellement, j’ai toujours réussi à trouver une place », indique une cliente. Mais le problème reste le prix, selon eux, trop cher pour uniquement faire une course (5€ les 2 heures).

« On a été impactés pendant les travaux, mais maintenant les clients reviennent petit à petit. Mon chiffre d’affaires stagne, même si je pense que ça va s’améliorer, il faudra voit sur le long terme » indique quant à elle la vendeuse d’une boutique voisine. Elle pointe également du doigt les transports en commun, qui pourraient être davantage développés dans le centre-ville, comme le font d’autres villes qui piétonisent ainsi que les amendes qui tombent régulièrement.

Le constat n’est cependant pas partagé par tout le monde au niveau de la baisse d’activité. Pour plusieurs boutiques, elle augmente même, comme l’explique la gérante d’une boutique de vêtements pour hommes rue Saint-Yon. « On est très content de la nouvelle rue, ils ont tout fait pour qu’on ne soit pas impacté durant les travaux. L’équipe de la mairie a été très sympathique et la clientèle a apprécié. Il n’y a pas eu de perte de passages ni de chiffre d’affaires, même si les clients râlent par rapport à la voiture. »

Une baisse d'activité en semaine

Un peu plus loin, rue du Minage, où la circulation automobile est plus faible en raison d’un interdiction de circulation d’une rue, le constat est différent. « On a des semaines qui sont beaucoup plus calmes qu’avant. Par contre, le week-end, l’activité reste la même. Alors qu’à notre boutique de Beaulieu, par exemple, même en semaine, l’activité reste stable. Ce sont plus des clients de La Rochelle intra-muros ici désormais. Par contre, on remarque qu’il y a beaucoup plus de vélos devant la boutique qu’avant », indique une commerçante. Un commerce voisin dénonce, lui, une dégradation de l’ambiance dans la rue, et surtout des loyers trop excessifs. Il constate également que de nombreux commerces voisins connaissent des difficultés, certains ont même déjà quitté la rue, selon lui, en vendant leur boutique.

« Il y a un gros turn-over des boutiques rue du Minage. C’est une rue commerçante qui est excentrée, et on constate une baisse de la fréquentation. Il faudrait plus de parkings relais autour de la ville. En plus, la période de Noël a commencé très tard, c’est bizarre car ce ne sont pas les décembres que l’on a connus », résume la gérante d’un magasin sur la situation de la rue.

Il est donc difficile de tirer un bilan global sur la situation du commerce dans le centre-ville de La Rochelle, car certains commerces sont en grande difficulté, tandis que d’autres voient leur chiffre d’affaires stagner ou même augmenter. Cette situation varie en fonction du type de commerce, de sa localisation géographique et du profil de sa clientèle, selon nos observations.

La rue du Minage a été désertée par les voitures à La Rochelle | TL - INF la Rochelle
La rue du Minage a été désertée par les voitures à La Rochelle | TL - INF la Rochelle

Une baisse du flux et des clients dans les restaurants et hôtels

Du côté de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie de Charente-Maritime (UMIH), qui représente plusieurs établissements de restauration et d’hôtels de La Rochelle, son président Guillaume Jacques explique que ses adhérents subissent la désertification du centre-ville au profit des zones commerciales à cause des difficultés pour stationner et circuler. « On le subit dans nos métiers, il n’y a rien de pire, par exemple, qu’un client qui ne peut pas décharger sa valise devant un hôtel. La première chose qu’un touriste dit quand il vient, c’est qu’il est impossible de circuler à la Rochelle. » La conséquence est une baisse du flux et donc des clients, selon Guillaume Jacques. Cependant, il indique que cette problématique est également constatée dans d’autres villes comme, par exemple, Saint-Malo. Le président de l’UMIH 17 indique que son syndicat travaille avec la municipalité afin de trouver des solutions et de garder un dialogue constructif avec l’adjoint chargé du commerce. Par exemple, les clients des hôtels peuvent passer les bornes du centre pour accéder jusqu’à l’établissement.

"La municipalité a réussi l'exploit de créer une cinquième île en Charente-Maritime en isolant le centre-ville de La Rochelle"

Pour Franck Coupeau, conseiller municipal d’opposition du groupe « Le Renouveau » à La Rochelle, « il y a un large débat sur la place de la voiture à La Rochelle et son impact sur les commerces de proximité ». Selon lui, il y a un déclin des commerces indépendants dû à trois causes : le contexte économique, avec l’inflation et une crise économique entraînant une baisse du pouvoir d’achat, la hausse des achats par internet sur les grandes plateformes, qui ont marginalisé certaines boutiques avec des prix bas  et enfin, la politique de mobilités de La Rochelle, qui « met le coup de grâce à certains commerçants » en rendant certaines rues inaccessibles, surtout celles excentrées du centre-ville. « Quand on voit à La Rochelle la multitude de stops et de sens interdits, c’est un tel non-sens que cela devrait être interdit. La municipalité a réussi l’exploit de créer une cinquième île en Charente-Maritime en isolant le centre-ville de La Rochelle ».

Il reconnaît une belle avancée sur la question des pistes cyclables, mais se questionne sur comment, par exemple, venir récupérer un plateau de charcuterie avec son vélo en centre-ville. De plus, il rappelle que la mise en place d’une campagne de communication pour essayer de faire revenir les commerçants de l’agglomération de La Rochelle est un aveu d’échec.

Il indique également que l’offre de stationnement à La Rochelle ne respecterait pas le schéma territorial de stationnement et constate un manque de parkings dans la ville. « Ce n’est pas forcément un problème de prix, mais aussi le fait d’arriver à ces parkings. Vous êtes pris dans des bouchons dans tous les sens ». Il appelle à une large concertation citoyenne pour réduire les difficultés de circulation et à une révision globale du plan de circulation, qu’il juge néfaste pour le centre-ville. « J’espère que le futur élu en charge des mobilités aura une expérience dans la circulation automobile, car je trouve que les échanges sont très tendus avec les habitants. Il faut rassembler les automobilistes et les cyclistes, car actuellement c’est la guerre à la voiture. Il faudra leur rappeler qu’ils n’ont pas la science infuse et qu’ils écoutent leurs habitants et l’opposition. Près de 5 Rochelais sur 6 n’ont pas voté pour eux, je pensais que ça leur avait servi de leçon pour se remettre en question. On n’a jamais autant parlé de La Rochelle avec les problématiques de circulation : tout le monde en rigole. J’ai une vraie crainte concernant la fermeture des enseignes moteurs du centre dans les prochaines années. »

Découvrez l’actualité de la Rochelle et de la Charente-Maritime sur notre site Web et en direct notre sur notre Facebook.