Le maire de La Rochelle a confirmé lors du conseil municipal le maintien du nom de la rue Jean Torlais, malgré les accusations de collaboration portées par un historien. Jean-François Fountaine réclame des preuves concrètes.
C’est une polémique qui était malvenue en pleine période de commémoration du 8 mai et de la libération de la poche de La Rochelle des nazis. La rue Jean Torlais, dans le quartier de Chef de Baie à La Rochelle, a fait beaucoup parler d’elle ces derniers jours. La raison ? Ce dernier, médecin rochelais, aurait dénoncé un de ses confrères qui était un résistant, et a été arrêté après la libération, en juillet 1946, selon un historien, comme le révélait Sud Ouest. Selon ce dernier, cela ne s’arrête pas là puisqu’il aurait été reproché à Jean Torlais d’avoir facilité le départ d’un Rochelais au STO (Service du travail obligatoire) en Allemagne, malgré le fait que celui-ci soit blessé.
Il aurait alors été condamné, selon cet historien, à 10 ans de dégradation nationale, avant d’être amnistié en 1951, ce qui efface sa condamnation sur le plan juridique «mais pas les faits, sinon on réécrit l’histoire», selon l’historien interrogé par nos confrères.
Après ces révélations, une commission lancée par la mairie s’était réunie en novembre 2024, avec 16 personnes, dont des historiens, l’ancien procureur de La Rochelle ou encore des associations d’anciens combattants, afin de savoir si l’on débaptise la rue ou pas, indique Jean-François Fountaine, le maire de La Rochelle, qui confie ne pas y avoir participé. La commission avait décidé majoritairement de donner comme avis final de ne pas débaptiser la rue, décision qui a été suivie par la mairie.
"Ce n'est pas un fantasme mais un fait historique"
Franck Coupeau, l’élu et porte-parole du groupe d’opposition du Renouveau, a ainsi souhaité interroger le maire sur le choix de maintenir le nom de la rue : «Une dissonance subsiste dans notre paysage urbain, une rue porte toujours le nom d’un collaborateur de guerre. La ville de La Rochelle continue de rendre hommage à un homme dont le passé est entaché de honte. Dénonciation d’un médecin résistant : une fois ce dernier arrêté, ses biens lui ont été dérobés par ce même dénonciateur. Ce n’est pas un fantasme mais un fait historique», explique l’élu, qui ajoute : «Refuser de débaptiser une rue qui porte le nom d’un collaborateur, c’est en quelque sorte insulter l’Histoire, piétiner le courage de celles et ceux qui ont perdu leur vie pour notre liberté […] L’amnistie n’est ni absolution, ni réhabilitation morale, c’est juste un acte politique, mais pas un effacement de la responsabilité historique. Être amnistié n’a jamais transformé un salaud en héros.»
Après l’intervention de Franck Coupeau, qui demande à revoir cette position dans le calme et sans polémique, le maire a tenu à répondre aux accusations concernant le maintien du nom de la rue. Ce dernier se doutait de cette intervention et avait déjà peaufiné ses réponses. « Je suis très heureux de pouvoir intervenir sur ce dossier […] nous avons pris l’affaire très au sérieux », affirme Jean-François Fountaine.
Après avoir rappelé l’organisation d’une commission avec 16 personnes, le premier magistrat de la ville s’est ému de la réutilisation du terme « collabo » samedi dernier dans l’article de Sud Ouest par l’historien, et avait besoin de se faire sa propre opinion sur le sujet. Il a alors convoqué cette même commission dans son bureau, et au-delà même, avec Jacques Bessière, le président de l’Association républicaine des anciens combattants, et Claude Gorin, fils d’une résistante déportée, qui étaient tous deux apparus dans l’article également, étant alors « vent debout » contre la décision.
Un rappel à la loi sur l'amnistie et le droit à l'oubli judiciaire
« A-t-on la preuve que c’est un collaborateur ? » s’est interrogé Jean-François Fountaine devant la commission, qui a reçu une réponse unanime de la part de tous les chercheurs, selon ses dires : « Nous n’avons pas cette preuve, aucune preuve n’existe. » « Vous vous êtes fait avoir par un pseudo-historien », a-t-il lancé durant le conseil municipal, en ajoutant qu’il n’en voulait à personne. Le maire de La Rochelle a cependant reconnu que si « on amène la preuve que c’est un collabo, je serais le premier à demander à ce qu’on change […] Mais aujourd’hui, elle n’existe pas. »
Jean-François Fountaine a également usé d’arguments juridiques et a rappelé qu’une motion avait été votée au dernier conseil, mentionnant le fait que « l’état de droit était quelque chose qui s’imposait à tous ». Le lien avec le sujet ? L’article 133-11 du Code pénal, qui indique : « Il est interdit à toute personne qui, dans l’exercice de ses fonctions, a connaissance de condamnations pénales, de sanctions disciplinaires ou professionnelles ou d’interdictions, déchéances et incapacités effacées par l’amnistie, d’en rappeler l’existence sous quelque forme que ce soit ou d’en laisser subsister la mention dans un document quelconque. Toutefois, les minutes des jugements, arrêts et décisions échappent à cette interdiction. En outre, l’amnistie ne met pas obstacle à l’exécution de la publication ordonnée à titre de réparation. » Concrètement, cela signifie qu’une fois amnistiée, une personne ne peut plus être publiquement liée à ses condamnations passées, ce qui est le cas de Jean Torlais. Même indiquer la condamnation en bas de la plaque est interdit, a rappelé le maire de La Rochelle, qui précise qu’il ne connaissait pas l’existence de cet article il y a encore dix jours, avant qu’il ne lui soit signalé par un ancien procureur de La Rochelle.
En tous cas, l’affaire aurait été pris très au sérieux par les élus de la majorité, près de 180 documents ont été décompté dans le dossier de recherche sur Jean Torlais, qui devrait pour le moment donc, conserver une rue à son nom à La Rochelle.