Pendant plus d’une journée, les agriculteurs de la Coordination rurale de Charente-Maritime ont bloqué une partie de la RN 11 et de la rocade de La Rochelle pour exprimer leur mécontentement face à l’abattage des troupeaux atteints de la dermatose nodulaire, mais aussi un ras-le-bol plus profond, jamais vraiment éteint depuis la crise agricole de janvier 2024.
Pendant près d’une journée, les agriculteurs de la Coordination rurale ont bloqué la RN 11, au bout du boulevard Sautel, ainsi qu’une partie de la rocade de La Rochelle. Une action choc et jugée « réussie » par le syndicat agricole, qui s’est fait remarquer après sa poussée lors des dernières élections à la Chambre d’agriculture de Charente-Maritime. « Aujourd’hui, on montre que la Coordination rurale n’est plus un petit syndicat et qu’on peut organiser des actions. […] Si on n’est pas écoutés, peut-être qu’on reviendra avec deux fois plus de moyens », prévient Thomas Palissier, l’un des responsables du syndicat, qui salue un blocage s’étant déroulé dans le calme.
Cette opération s’inscrit dans le cadre de la crise agricole qui touche le Sud-Ouest depuis près d’une semaine, en raison de l’abattage systématique des élevages lorsqu’un animal est atteint de la dermatose nodulaire contagieuse. Une décision qui a mis le feu aux poudres et ravivé une colère agricole qui ne s’était jamais vraiment éteinte depuis janvier 2024.
La question des normes administratives reste au cœur des revendications des agriculteurs. « Un jeune qui veut monter un bâtiment ou quoi que ce soit pour de l’élevage, il y a toujours quelque chose : il faut trois à quatre ans. En Ukraine, ils mettent six mois. […] Mais à force, on n’aura plus de jeunes non plus. […] Il faut qu’ils prennent conscience de ça, c’est pour eux qu’on fait ça aussi », explique Stéphane Palissier, président de la Coordination rurale en Charente-Maritime.
"Rien n’a changé"
Arrivés jeudi en milieu de journée, les agriculteurs se sont rapidement installés sous un pont, au niveau du boulevard Sautel et de la sortie de la zone commerciale de Beaulieu, en contrebas de la rocade. Derrière un mur de paille, le préfet du département, Brice Blondel, est venu à la rencontre des agriculteurs afin d’écouter leurs revendications, tout en leur demandant de conserver un « esprit de responsabilité » dans leur action.
Accompagné du directeur de la Direction des territoires, le représentant de l’État en Charente-Maritime a longuement échangé avec les syndiqués, notamment sur la question des contrôles dans les exploitations, jugés toujours trop contraignants par les agriculteurs, mais aussi sur les retards de versement des aides.
Malgré les nombreux arguments avancés et la volonté de dialogue affichée par le préfet, les manifestants réclament désormais des « actes », estimant que, depuis la crise agricole de 2024, « rien n’a changé ».
Le drapeau de l'Europe arraché, la direction des territoires visées
Les agriculteurs se sont ensuite rendus devant la préfecture, protégée par un important dispositif de gendarmerie mobile. Un seul tracteur a été autorisé, avec l’accord des autorités, à accéder au parvis du bâtiment. Sur place, les manifestants ont retiré le drapeau européen pour y accrocher un mannequin pendu, avant d’ériger un mur de paille devant la préfecture. Une action symbolique destinée à dénoncer le traité du Mercosur, vivement critiqué par les agriculteurs, qui redoutent l’importation massive de produits issus d’une agriculture intensive en provenance de pays d’Amérique centrale.
La Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) a ensuite été prise pour cible. Les agriculteurs y ont déversé plusieurs bennes de déchets, pneus et autres matériaux, avant de regagner leur campement et d’entamer un blocage de la rocade.
Pourquoi avoir ciblé La Rochelle ? « Il y a la préfecture et la DDTM, et en plus, je pense que c’est l’épicentre des écolos qui ne veulent plus des agriculteurs. Ils veulent notre peau, ce n’est pas nous qui en voulons à la leur, ce sont eux qui veulent la nôtre. Donc, ils sont mal placés pour parler », dénonce Stéphane Palissier.
"Ce n'est pas de notre métier de bloquer"
Vendredi en milieu de journée, après avoir déversé plusieurs bennes sur la rocade, la poignée de membres de la Coordination rurale encore présents sur le lieu du rassemblement a décidé de lever le camp. « On n’est pas dans le Sud-Ouest, on n’est malheureusement pas aussi solidaires entre nous », déplore l’un des manifestants. Il fait notamment référence au manque de soutien des autres syndicats, comme la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, qui ont mené une action distincte à Saint-Jean-d’Angély jeudi. Malgré les consignes, quelques-uns de leurs membres étaient toutefois présents aux côtés de la Coordination rurale lors du blocage à La Rochelle.
« De toute façon, si on ne fait rien, on va tous mourir. Alors il ne faut pas attendre que son voisin meure pour espérer s’en sortir. Ce temps-là est fini. […] Il faut se battre pour les jeunes. Et puis, pour ce qu’on a monté, pour ce qu’on a construit, on ne veut pas le voir disparaître. […] Ils ne nous l’enlèveront pas. Ce n’est pas la peine d’essayer, ils n’y arriveront pas. Parce qu’on sera toujours là », conclut Stéphane Palissier à notre micro.
Son fils, Thomas Palissier, indique ne pas envisager de nouvelle action d’ici l’année prochaine, afin de laisser les habitants profiter des fêtes de Noël et de permettre aux manifestants de se reposer. « Ce n’est pas notre métier de bloquer », conclut le viticulteur, qui se dit toutefois prêt à reprendre les actions si les revendications ne sont toujours pas entendues en janvier.
Vendredi en fin de journée, la rocade ainsi que la RN 11 étaient de nouveau ouvertes à la circulation. Quelques tags de soutien à la Coordination rurale de Charente-Maritime demeuraient visibles, stigmates d’une colère agricole encore loin d’être éteinte.